CHRONIQUE LECTURE : L’ensauvagement du capital par Ludivine Bantigny

Ludivine Bantigny vient de publier « L’ensauvagement du capital », essai percutant d’une soixantaine de pages en forme de réponse au cynisme du gouvernement qui quotidiennement tente d’imposer un scénario selon lequel une certaine partie de la société serait « sauvage ». Dans leur esprit, entendre : qui commettent des vols, des agressions et des viols.
C’est en juillet 2020 que Darmanin avait déclaré : « Il faut stopper l’ensauvagement d’une partie de la société ». Terme qu’il avait totalement assumé, et qui avait été remis dans le champ politique par l’idéologue néofasciste Laurent Obertone – pour son livre « La France Orange mécanique » en 2013 – puis repris par Marine Le Pen. Ce mot « ensauvagement » avait également fait la une de Valeurs actuelles. Le langage de l’extrême droite donc. Ces mêmes personnes qui s’élèvent contre une manifestation antifasciste alors que les actes les plus alarmants de la part des fascistes sont passés sous silence : trafic d’armes, appels aux meurtres, saccages, banalisation du racisme. Alors de quel côté se trouve l’ensauvagement ?
Ludivine Bantigny, à la manière d’Aimé Césaire dans son « Discours sur le colonialisme » en 1950 qui avait retourné ce terme contre les colonisateurs en raison de leur violence extrême, le renverse à nouveau : « Le capitalisme a toujours été ensauvagé : ses origines sont tachées de sang. » Elle rétablit la vérité dont on essaye soigneusement de nous détourner. La violence la plus grande, la plus ignoble, la plus sournoise vient bien de celles et ceux qui nous gouvernent, et de tous les « puissants » qui s’enrichissent en détruisant la vie de millions d’autres.
En illustrant son propos par des faits avérés, historiques ou actuels, en replaçant le vivant au cœur de sa réflexion, Ludivine Bantigny nous rappelle toutes les conséquences quotidiennes, immenses et palpables : la destruction de la planète, les pillages, l’exploitation, les migrations forcées, les ventes d’armes, les coûts humains. Voilà où se situe la plus grande des violences commise en toute impunité : du côté des plus riches.
Un milliardaire sur son yacht peut saccager un atoll du Bélize classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, l’État français vendre des armes à l’Arabie saoudite et les Émirats arabes, les financiers et industriels assassiner des travailleurs. En 1984, l’usine chimique de Bhopal avait explosé provoquant la mort de 18 000 personnes, mais les responsables ont rétorqué que Bhopal « a généré de la valeur ajoutée », « ça coûte des vies mais si ça rapporte des profits… ». Et que dire du centre de confection pour Mango, Camaïeu, Benetton et Auchan qui s’est effondré faisant des milliers de morts et des milliers de blessés.
Réduire une partie de la population, précisément celles et ceux qui contestent le pouvoir et luttent contre le fascisme, à des personnes violentes c’est le meilleur moyen de masquer la véritable origine de la violence, d’essayer de nous faire détourner le regard. Car qui peut, en sachant tout ça, continuer de manière sensée à soutenir, et encourager le système capitaliste ainsi que ceux qui le protègent ?
L’ensauvagement du capital de Ludivine Bantigny, Seuil, collection Libelle, 4,50€.